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Où j'ai joué les anges gardiens

J’ai tout de suite senti que ce type était un parfait connard. Pourtant, je ne suis pas le genre à juger quelqu’un d’un simple coup d’œil. Cependant, il ne faudrait pas confondre. Je suis muet, pas aveugle. Je sais reconnaître un parfait connard lorsque j’en rencontre un. Et celui-là battait des records. Je m’en suis aperçu au premier instant. Alors que je lui tendais la main, il a préféré garder la sienne dans sa fouille. A son regard méprisant, j’ai compris qu’il aurait plus volontiers baisé les pieds d’un lépreux plutôt que de serrer la main à l’un de ses sous-fifres. Pas grave. Je n’étais pas là pour me faire un ami.
Il a confirmé mon intuition en me disant : « Alors, c’est toi qui qu’est sensé me protéger ? Ben, j’espère que tu es plus coriace que t’en à l’air parce que excuse-moi, mais t’as pas la carrure à Steven Seagal . »
Je lui aurais bien fait sauter les deux rotules, histoire de voir si j’étais assez coriace pour lui, mais je me suis retenu. J’étais là pour le boulot. Plus exactement pour rendre service à Tornade.
Vous ai-je déjà parlé de Tornade, ma patronne ? Oui ? Non ? Vous ai-je déjà dit à quel point elle était belle ? A coté, Monica bellucci ressemble à un mérou. Bref, Tornade est le genre de femme à qui l’on ne peut rien refuser. Surtout lorsqu’elle vous demande si gentiment de lui rendre service. Pour elle, j’irais jusqu’en enfer pour trucider Belzébuth, avec son propre trident.
C’est au Waldo’s Bar qu’elle m’en avait parlé. Après une délicieuse assiette de litchis au caramel, elle m’avait demandé, je cite « s’il serait malavisé de songer que j’aurais l’obligeance de bien vouloir lui rendre un petit service. » Qu’est-ce qu’elle parle bien, hein ? Je suis toujours soufflé lorsque je l’entends. Bien évidemment, j’avais acquiescé. Là, elle m’avait expliqué qu’elle avait besoin d’un garde du corps. Je commençais déjà à rentrer en transe lorsque je compris que ce n’était pas son corps qui avait besoin d’être gardé. Un vieil ami, qui travaillait dans la même branche qu’elle – le genre à qui l’on ne peux rien refuser, avait-elle prit le soin de préciser – avait un fils qui se prétendait acteur. Il jouait comme une enclume, mais étant donné la position de son père, personne n’osait le lui dire. Ce fils- dont je préfère taire le nom – devait se rendre à une cérémonie réunissant le gratin du monde du cinéma. Ayant échappé à une tentative d’assassinat, son père nourrissait de fortes inquiétudes quant à la sécurité de son rejeton. Ses garde du corps s’étant fait pulvériser dans l’attentat qui avait failli lui coûter la vie, il s’était tourné vers Tornade afin qu’elle lui procure quelqu’un de digne de confiance et de suffisamment pro pour assurer la sécurité de son fils à cette soirée. Et bien évidemment, elle avait pensé à moi. Il y avait de quoi se sentir flatté, non ? Bien sûr, elle aurait pu demander à Tonio mais pour lui, assurer la sécurité de quelqu’un consiste à le balancer dans le coffre de sa voiture et à s’asseoir dessus en attendant l’ennemi avec une grenade dans chaque main. Toute la délicatesse du poète, ce Tonio. Elle avait conclu en précisant que le fils de son ami devrait être traité avec tous les égards dû au rang de son père, et ce malgré sa forte propension à la condescendance. J’aurais dû chercher ce mot dans le dictionnaire au lieu acquiescer bêtement. Pourtant, j’aurais dû m’en douter, il y a con dedans.
Pour revenir à cette soirée, j’étais donc là, a me faire insulter par Dont-Je-Préfère-Taire-Le-Nom, sans pouvoir répliquer. En temps ordinaire, ce n’est pas que je sois très éloquent, vous imaginez bien, mais je connais d’autres moyens bien plus parlant que les mots pour répliquer. Comme s’il ne s’était pas assez foutu de moi, il ajouta : «  Au moins, t’as eu le bon goût de mettre des fringues passe-partout. On ne risque pas de te repérer. C’est sûr que fringué comme ça, on va avoir du mal à ne pas te confondre avec un journaliste. Elle ne te paie pas ta patronne ? »
Mon majeur s’est dressé dans la poche de mon pantalon. Là, je l’avais mauvaise. C’était le costard le plus cher que j’avais.
Ensuite, il a chuchoté quelques mots à l’une des deux poufs qui l’accompagnaient et logiquement, la pouf a pouffé.
J’allais m’envoyer deux, trois litchis, histoire de me détendre lorsque, l’autre m’a foudroyé du regard.
« Non mais qu’est-ce que tu fais là ? Tu ne  veux pas une sucette, non plus ? Ecoute-moi bien. Quand on bosse pour moi, on se comporte en homme. On fume, on boit du whisky et on mâche du chewing-gum. C’est tout. Non mais c’est quoi ces manières de gonzesse ? »
J’ai rangé mes litchis en me disant que décidemment, ce boulot s’avérait bien plus pénible que prévu.
« Bon, a t’il conclu, tu reste deux mètres derrière moi, tu fais ton boulot et pas de vague. Je suis connu dans le milieu du cinoche. Et une fois que l’on sera là-bas, t’évite les flashs. J’ai pas envie de retrouver ta tête à coté de la mienne demain dans les journaux. Tout de même, ils auraient pu m’envoyer quelqu’un qui fasse un peu plus Steven Seagal… »
Condescendant ? Un parfait connard, oui..
Lorsque nous sommes arrivés devant l’entrée du palace où devait se tenir la cérémonie, j’ai mesuré l’ampleur de la tâche qui m’incombait. Il y avait des centaines de gens. Des flics, des photographes, des badauds. N’importe qui pouvait être un collègue à qui on avait demandé de propulser mon client au paradis des parfaits connards. Je lui ai collé au train, la main crispé sur la crosse de mon 9 mn dissimulée sous ma veste, les yeux virevoltant dans toutes les directions. J’ai même failli descendre un type qui fouillait dans sa poche revolver à la recherche de son téléphone. Je sais, sans mes litchis, je ne vaux pas grand-chose. Une fois à l’intérieur, j’ai pu souffler un peu. Il y avait peu de chance que l’on tente quoique ce soit ici. C’était trop fliqué. Dont-Je-Préfère-Taire-Le-Nom s’est assis dans le fauteuil qui lui était attribué, et a taillé le bout de gras avec ses voisins en attendant le début de la cérémonie. En fait, le monde du show biz n’est pas si différent du mien. Eux aussi, se font passer pour ce qu’ils ne sont pas en attendant que l’autre ait le dos tourné pour le descendre. Seulement, eux, ils le font gratuitement.
J’ai passé toute la cérémonie l’œil au aguets sans rien déceler de suspect. Putain, ce que j’avais envie de litchis !
C’est sur le chemin du retour que ça s’est gâté.
Alors que ce parfait connard (et j’insiste bien sur le parfait) montait dans sa voiture ( un aspirateur à gonzesses qui devait coûter l’équivalent du P.I.B du Chili) que mon instinct m’a alerté. On écoute toujours notre instinct, nous, les tueurs de gens. J’ai viré le chauffeur et me suis mis à sa place, Puis j’ai démarré, direction le Fu Fun, une boite de nuit à la mode. Ducon, en pleine séance de pelotage sur le siège arrière avec une morue aussi bonne que conne, n’avait même pas remarqué que j’avais échangé ma place avec son chauffeur. Tout ce qui l’intéressait était de savoir quand il pourrait mettre le berger dans la crèche. Un coup d’œil dans le rétro a suffi  pour confirmer mes craintes. On était suivi. Je me suis appesanti un peu plus sur la pédale de l’accélérateur. Ils nous ont collé au train. D’après ce que je distinguais, ils étaient quatre et trois d’entre eux tenaient ce qui ressemblait furieusement à des fusils d’assaut. Je le sais, j’ai les même à la maison. J’ai écrasé le champignon et le compte-tours s’est fait une frayeur. J’ignore combien il y avait de bourrins sous le capot, mais elle en avait dans le sac, cette bagnole. Bien sûr, l’autre à trouvé à redire ; « Mais qu’est ce que tu fous ? Tu veux nous tuer ? » Il l’a bouclé lorsqu’un pruneau est venu éclater la vitre arrière. Du coup, c’est sa morue qui s’est mise à hurler. Là, je suis passé en mode autodéfense. J’ai posé les mains du chauffeur sur le volant et je me suis retourné avec mon calibre en main. Dont-Je-Préfère-Taire-Le-Nom a tout juste eu le temps de se baisser. Ma première balle (la balle de chauffe, comme on dit dans le métier) a touché un phare. La seconde est allée se loger dans l’œil du conducteur. Du coup, il a dû avoir quelques problèmes de visibilité car sa voiture est allée s’enrouler autour d’un poteau. Je ne me suis pas arrêté pour aller leur porter les premiers secours. Je sais, c’est moche de ma part. Ensuite, j’ai repris les commandes du bolide pendant que la blondasse essuyait le vomi de son Roméo. Il avait des éclats de verre dans les cheveux  et son visage portait de fines entailles. Il avait l’air encore plus moche que d’habitude, et  vraiment furax. Il m’a hurlé de m’arrêter, tout de suite, et de dégager. Je me suis exécuté, bien que j’eusse préféré l’exécuter, lui. Il est sorti après moi. «  Espèce de malade, t’as failli nous tuer avec ta conduite de psychopathe! Et ma caisse, regarde ce que t’as fait de ma caisse ! Non mais regarde ! »
A part une rayure de deux mètres sur quarante centimètres de haut, quelques ailes enfoncées, un capot froissé et un par-choc manquant, elle était nickel, sa caisse. Ah, oui, il manquait des phares aussi. Mais que voulait-il ? J’avais dû frôler de trop près certaines voitures afin d’éviter une pluie de bastos. C’était déjà miraculeux que nous soyons en vie. Lui ne voyait pas les choses de cette façon : « Espèce de mongolien, t’es viré ! Tu m’entends, t’es viré ! Allez, dégage, je ne veux plus jamais revoir ta tête de demeuré! » Comme je n’obtempérai pas, le parfait connard s’est mis à insulter ma mère. Il ne mesurera jamais à quel point, à cet instant, il fut près de se raidir dans le trépas, comme on le dit dans les livres. J’ai préféré partir avant de lui vider un chargeur tout neuf dans la narine. Décidemment, je me préférai dans le rôle de l’ange de la mort plutôt que dans celui de l’ange gardien.
Ma vengeance, je l’ai eu trois semaines plus tard, en lisant les journaux. Dans un encart, on écrivait qu’on l’avait fait sauté avec sa nouvelle voiture alors qu’il sortait de la planque d’où il se terrait, depuis sa dernière tentative d’assassinat. Personne ne savait qui avait donné aux tueurs les informations concernant la localisation de ce lieu tenu ultra secret. Moi, j’avais ma petite idée.
Et puis entre collègue, il faut bien s’entraider, de temps en temps.