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Où je devais aller manger chez ma mère (1)

Publié le par le tueur de gens

Ce jour là, comme tous les premiers lundis du mois, je devais aller manger chez ma mère. Comme tous les premiers lundi du mois, j’étais en retard. Je me rasai, fini en vitesse ma boite de litchi et me précipitai à l’arrêt de bus. Au passage, un jeune freluquet percé de partout me bouscula et failli me renverser. Au lieu de s’excuser, il m’insulta avant de se tirer en courant. Le p’tit con ! Je lui aurais bien collé un pruneau pour lui apprendre la politesse !

Je m’énerve, je m’énerve, mais en fait tout ça n’est pas sérieux. C’est pour faire plus dur que je dis ça, plus crédible. En fait, en dehors de mon boulot, je ne ferais pas de mal à une mouche. Même lorsqu’elles font bzzz,bzzz toute la nuit dans ma chambre. (Les moustiques par contre, c’est pas pareil. Faudrait tous les exterminer. ) Et puis, qu’aurais-je gagné à descendre ce guignol ? Personne ne m’aurait payé pour ça. Je n’ai pas choisi ce métier pour faire du bénévolat.

Depuis la mort de mon père, il y a 27 ans, ma mère avait tendance à perdre la notion des proportions. Une guêpe avait piqué mon père au mauvais endroit alors qu’il faisait pipi contre un arbre. Il était mort en trois heures et lors de l’enterrement, on avait dû renoncer à présenter le corps à la famille tant l’énorme bosse qui déformait son pantalon prêtait à l’indignation. Depuis, ma mère mettait des vêtements trop larges ou trop jaunes,  dormait 76 heures d’affilées  ou restait des nuits entières éveillées, se mouchait dans des mouchoirs de la taille d’un drap, écrasait les moustiques au pied de biche ou payait son loyer en pièce de cinq centimes. Pour la nourriture c’était pareil. Il y en avait souvent trop. «  Mais mange donc, George » me disait-elle en remplissant pour la cinquième fois mon assiette de potée auvergnate. « Tu es en pleine croissance, il faut que tu prennes des forces. » Ma mère avait quelque fois tendance à oublier que j’avais 43 ans.

Ce jour là, j’avais eu le droit à une choucroute garnis après mon assiette de couscous. Deux assiettes plus tard, d’un signe du pouce, je lui expliquai que je n’en pouvais plus et lui fit comprendre qu’il était inutile de m’apporter l’immense forêt noire que j’avais vue dans le frigo. Il occupait deux compartiments à lui tout seul ! Une boite de litchi suffirait amplement. En m’apportant ma boite, elle me fit part des soucis qu’elle avait en ce moment avec son magnétophone. Elle ne pouvait pas écouter la compilation que l’une de ses voisines, Madame Petiau, lui avait offerte. Je dus lui expliquer du mieux que je pus, qu’un compact disque ne pouvait pas s’écouter sur un magnétophone.  Après, nous avons regardé la télé ensemble puis elle s‘est endormie dans son fauteuil. Sans faire de bruit, je me suis levé, ai remonté la couverture sur ses jambes, l’embrassai sur le front et je suis parti. Bien sûr elle pouvait se réveiller d’une seconde à l’autre mais elle était également capable de ne pas refaire surface avant des jours. Je ne pouvais pas attendre indéfiniment ; j’avais un rancart.

Je regardai ma montre. Quatre heures moins le quart. J’avais un petit peu de temps avant mon rendez-vous avec Tornade, ma patronne. J’en profitai pour aller chez le Chinois du coin m’acheter quelques boites de litchis. Au passage, j’entendis une radio émettre « Stranger in a night », chanté par Sinatra. Je me mis à la siffler mentalement tout le long du chemin.

 C’est bête que je sois muet, sinon je suis sûr que j’aurais fait un excellent chanteur. Peut-être même meilleur que tueur. Ma mère me disait souvent, lorsque j’étais petit, que je chantais comme un rossignol. Mais à l’âge de dix ans, j’ai mangé une boite de litchis périmés et j’ai perdu la voix.

Cela n’arrive jamais me diriez-vous. Et bien si. Moi ça m’est arrivé.

 Depuis je me gave de litchi en boite avec l’espoir de tomber sur une qui fera contre effet. Je sais, ce n’est pas terrible comme thérapie mais s’est tout ce que j’ai trouvé. Et puis, j’aime bien les litchis.  

Mais ce n’est pas si catastrophique que ça de ne pas parler. Cela ne me gêne pas pour tuer des gens. Et puis ma patronne, ça l’arrange. Elle est sûre que même sous la torture, je n’irai pas la balancer. Elle est gentille ma patronne. Et puis qu’est-ce qu’elle est belle !  Elle est belle comme quelque chose qui serait beau…, mais encore plus. Je crois que c’est la seule personne que je pourrais flinguer gratuitement, si elle me le demandait gentiment.

Je me suis donc pointé au Waldo’s Bar à cinq heures précise. Le bar n’étant pas encore ouvert au publique, c’est Tonio qui m’a ouvert la porte.

Celui-là, je payerai cher pour que quelqu’un me paie pour le dessouder. Avec sa gueule d’équarrisseur et ses muscles gonflés aux stéroïdes, il se prenait pour un pro. Pourtant, dieu sait qu’il n’était pas une épée dans l’art de la flinguerie. C’était plutôt un casseur de pierre  qu’un tailleur de diamant. Ah, bien sûr, si vous aviez un chantier de démolition à préparer, c’était l’homme qui vous fallait. Il vous nettoyait une place publique à coups de bazooka en moins de cinq minutes. Mais pour ce qui était de la subtilité, du doigté, de la poésie, c’était autre chose. C’est pas lui qui vous ferait un petit trou bien propre, bien circulaire, au milieu du crâne. Quant à l’art de la strangulation à deux doigt, c‘est tout juste s’il arrivait à l’épeler. Ce type serait incapable de manier de l’explosif si le système de mise à feu dépendait de plus d’un fil. Lui,  ça serait plutôt le genre à chasser le moustique à la grenade. Des type comme çà, c’est la honte du métier. Et puis je le soupçonnai d’aimer vraiment ça, descendre des gens. Ce n’est pas très professionnel. A ce moment là, il n’y a aucune raison pour qu’on le paye. Tout travail mérite salaire, mais vu qu’il adorait ça, ce n’était plus du travail.

- Bah alors, on ne dit pas bonjour, George ? me demanda Tonio, encadrant la porte, un sourire en coin ?

Celle-là, il adorait me la faire. D’un signe du majeur, je lui signifiais d’aller se faire foutre.

- Ben dis donc, t’es pas très causant aujourd’hui, rajouta t’il avant de se marrer.

Mon deuxième majeur apparut.

- Tu sais, c’est pas très poli de ne pas répondre aux gens, George.

Il y a des fois ou je regrette d’avoir vendu ma caisse à outils de plombier. Je lui aurais bien laissé l’empreinte de ma clé plate de 52 sur le coin du nez.  On aurait bien vu s’il avait toujours envie de se marrer avec 550 grammes de chrome-vanadium dans les dents.

« Laisse-le entrer » ordonna une voix douce mais cinglante à l’intérieur du bar.

C’était Tornade, ma patronne.

Tonio me fit une révérence en m’invitant à entrer. Je me surpris à calculer d’après son poids et la densité de l’eau du fleuve, le leste qu’il me faudrait pour qu’il passe les cent prochaines années à raconter ses conneries aux poissons.  Simple réflexe professionnel.

Tornade était assise sur un tabouret, le coude négligemment posé sur le comptoir. Elle portait une belle robe qui ne laissait apparaître qu’une fine partie de ses délicates chevilles. Sa longue chevelure blonde descendait en cascade le long de son dos pour rejoindre une courbure de reins à descendre le bon dieu. Elle était tellement éblouissante que je dus enfiler mes lunettes de soleil. Que voulez-vous ? Je suis muet, pas aveugle. C’était vraiment la fille la plus belle qu’il m’avait été donné de rencontrer. Après ma mère, bien entendu.

Elle me fit signe de m’assoire à coté d’elle et commanda au barman une boite de litchi. Quand je vous disais qu’elle était gentille. Elle les faisait importer directement de Pékin, rien que pour moi.

D’un claquement de doigt, elle fit disparaître le barman et me demanda :

- George, puis-je une nouvelle fois compter sur la confiance que je porte à ton égard ?

En plus, vous avez vu comment elle parle bien ! C’est pas dans tous les boulots que l’on a un tôlier qui vous parle comme ça.

D’un signe de la tête, j’acquiesçais.

Elle me tendit une grosse enveloppe.

- C’est un contrat standard, cela ne devrait pas te prendre plus de trois jours. Les modalités sont à ta convenance. Ton avance est dans l’enveloppe, jointe avec la photo de la cible. Ton gage est le même que pour tes précédentes interventions. Je me suis permis de le majorer de sept pour cent, pour tes faux frais.

Au prix des balles en tungstène de nos jours, cela faisait plaisir de voir un employeur s’impliquer. Les fournitures sont devenues tellement chères qu’un simple couteau de lancer vous coûte autant qu' un kilo de caviar! Et une bonne hache, bien trempée, avec un axe de dépouille n’excédant pas les douze degrés, vous savez combien ça coûte ? Je ne parle même pas de la hausse du court du pain de plastique, hors de prix. A ce rythme là, il ne faudra pas s’étonner de voir des professionnels travailler à la sarbacane ou au lance-pierres dans un avenir proche.

Je l’ai remercié mais comme je suis muet, elle n’a rien entendu.

Ensuite, nous avons parlé de choses et d’autres (surtout elle), puis je suis parti. J’avais du boulot.

                                                               

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